Vive l’égoisme, le corporatisme et la crispation sur les avantages acquis !

, par Dominique Bonadei

Pour parvenir à imposer une rafale de réformes libérales à des salariés plutôt rétifs, les gouvernements, et tout particulièrement ceux qui se sont succédé ces dernières années (Raffarin, Villepin, Fillon) ont adopté une méthode qui a malheureusement rencontré un certain succès : prévenir toute velléité d’opposition aux mesures mises en œuvre en culpabilisant par avance ceux qui oseraient les contester.

Le procédé est toujours le même : on commence par expliquer, à grands renforts de propagande, que la situation financière de tel ou tel secteur : santé publique, caisses de retraite..., est devenue proprement insupportable ; les éditorialistes régionaux et nationaux, qui n’ont plus besoin qu’on leur dicte ce qu’il faut écrire (ils le devinent très bien tous seuls comme des grands), abreuvent leurs lecteurs de leçons de morale expliquant que « nul ne conteste plus la nécessité d’une réforme », et rajoutent, pour faire bon poids, que d’autres pays ont fait ce qu’il fallait il y a trente ans et que bien sûr, seule la France est à la traîne. Enfin, ceux qui rechigneraient devant les sacrifices qu’on s’apprête à leur imposer sont montrés du doigt : salariés « égoïstes », « arc-boutés sur leurs privilèges » et « crispés sur leurs acquis », syndicats « archaïques » et « corporatistes » ; et lorsque la protestation finit par déboucher sur des grèves, le chœur s’en prend aux « preneurs d’otages » et se lamente à chaudes larmes sur « la galère des usagers ».

Ces sublimes odes chantant la primauté de l’intérêt général sur celui des salariés, des chômeurs ou des retraités pourraient presque être crédibles.... si leurs auteurs ne changeaient radicalement leur fusil d’épaule lorsque d’autres intérêts particuliers, autrement plus sonnants et trébuchants, sont concernés. Lorsque les financiers s’expatrient à Londres pour payer moins d’impôts, fustige-t-on leur égoïsme ? Que nenni ! On se roule à leurs pieds et leur mitonne un joli bouclier fiscal maison.

Lorsque des entreprises menacent de délocaliser pour augmenter leurs marges, flétrit-on cette prise d’otages de salariés impuissants ? Que nenni ! On s’incline illico devant le chantage des actionnaires et accorde une n-ième exonération de charges sociales ou subvention déguisée sans contrepartie. Lorsqu’Henri Proglio réclame un salaire exorbitant pour conserver le niveau de revenu qu’il avait chez Veolia, qualifie-t-on d’infamie cette crispation sur un avantage acquis ? Que nenni ! L’on cède à son caprice, que l’on s’empresse de surcroît de légitimer au nom de l’immense talent de l’intéressé.

Alors, que les salariés ordinaires cessent de culpabiliser ! Il n’y a aucune raison qu’ils soient les seuls à devoir être honteux de défendre leur bout de gras ; puisque l’égoïsme, le corporatisme et la crispation sur les avantages acquis sont manifestement loués et grassement récompensés lorsqu’ils émanent des traders, des actionnaires ou des rentiers, qu’ils soient revendiqués haut et fort sans vergogne par tous les travailleurs.