Les Représentants Syndicaux face à la crise

, par Dominique Bonadei

La crise actuelle est profonde et touche l’ensemble des secteurs économiques. L’incertitude prévaut en ce qui concerne ses répercussions à plus long terme. La trajectoire sociale de la crise n’est pas en outre une simple réplique de la secousse économique. Le choc économique a été fort avant d’être suivi d’une pause. La dégradation de la situation sociale intervient de façon progressive et n’est pas encore totalement enregistrée. Elle se traduira par la hausse du chômage et annonce une reprise probablement sans création d’emploi.

L’augmentation du chômage n’est pas le seul marqueur de la crise. Les revenus du travail sont eux aussi affectés : si les baisses de salaires n’ont pas été massives, les gels et/ou sacrifices salariaux temporaires ont été fréquents, sans parler du durcissement des conditions de travail. Surtout, l’impossibilité d’accéder à des revenus continus touche une frange importante de salariés en attente d’emploi, les jeunes en premier lieu.

Comment la crise agit-elle sur les systèmes de régulation sociale et sur leurs acteurs ? Quelle est la capacité des représentants syndicaux à peser dans les stratégies de sortie de crise ? Les digues d’anciens compromis protecteurs cèderont-elles encore un peu plus devant les impératifs de flexibilité et de reconquête des compétitivités ? De nouveaux « pactes sociaux » chercheront-ils à limiter les dommages sociaux ? Les syndicats en crise sortiront-ils fragilisés de l’épreuve ou y refondront-ils au contraire leur légitimité de représentants ?

Les secteurs professionnels sont affectés de manière inégale par la crise et leurs traditions d’organisation de la concertation sociale sont contrastées. Le (trop) faible recul dans le temps, les temporalités différenciées d’inscription des entreprises dans la crise ne facilitent ni la comparaison ni le diagnostic à ce stade. Les réalités locales mettent avant tout en scène des acteurs aux prises avec leurs propres incertitudes : les stratégies, arbitrages, et (éventuellement) alliances adoptés dans l’urgence se révéleront-ils pertinents et durables si la crise doit se prolonger ?

Dans cet entre-deux, les stratégies sociales n’en révèlent pas moins quelques similitudes. Au-delà des réactions diversifiées aux enjeux eux aussi inégaux de la crise, on observe un même souci de sauver de la désagrégation un système économique et financier dont l’échec reste patent. Pour conjurer le péril, les acteurs consentent des efforts au nom de leurs bases respectives : sacrifices en termes de salaire et de garantie d’emploi ; abandon des velléités de remise en cause frontale des compromis sociaux antérieurs. Les risques liés à la profondeur de la crise semblent avoir conduit à une sorte de trêve dans un processus de plus long terme de remise en cause de conditions de régulation offrant une certaine sécurité aux salariés. Ce consensus, implicite plus souvent que formalisé, place au centre des politiques économiques et sociales les secteurs stratégiques au redémarrage de l’économie et les entreprises les plus emblématiques. La gestion de la phase actuelle de la crise leur a offert les moyens de protéger leurs effectifs noyaux, en jouant sur le chômage partiel, la formation, des sacrifices salariaux « supportables » (et supposés temporaires). Les organisations syndicales, soucieuses de favoriser une sortie rapide de la crise, ont soutenu ces politiques d’autant plus volontiers qu’elles concernent au premier chef les bases sur lesquelles elles s’appuient.

Mais les efforts concertés de préservation des emplois stables et qualifiés mettent d’autant plus en lumière la dualité des situations face à la crise. Les risques supportés par les entreprises et les salariats au cœur du dispositif devaient être atténués. Il n’y avait guère moyen de limiter les conséquences de la crise sur les autres : à la suite aussi d’une série de réformes, le marché du travail s’est montré impitoyable souvent pour les détenteurs d’emplois non stables ou à la recherche d’un premier emploi.

Si l’on devait, à ce stade, dresser le bilan en ce qui concerne nos syndicats, on pourrait proposer une double lecture, contradictoire.

D’une part, les syndicats ont revendiqué et assumé leur rôle d’acteurs légitimes face à la crise. Rares sont les patrons qui n’ont pas tenté de s’allier, pour une partie du chemin tout au moins, le concours des organisations syndicales ; rares sont les syndicats ayant refusé de « cogérer » la crise, au moins dans certains bastions, et cela sans toujours disposer des institutions dédiées au partenariat social. Fonctionnellement et institutionnellement, l’influence des syndicats semble re-conforté plutôt que fragilisé dans la crise.

Cette « re-légitimation » en temps de crise se fonde en même temps sur des bases de plus en plus fragiles. Si dans nombre de secteurs professionnels (mais pas dans tous) les dégâts pour les salariés les moins menacés ont pu être limités, les « autres » (salariés non stables, précaires, chômeurs…) semblent se situer, avec une évidence croissante, en dehors de la zone d’intervention des relations sociales instituées. En cela, la crise ne fait qu’entériner et aggraver une situation antérieure, déjà analysée lors de l’élaboration des résolutions du XIIème congrès départemental. Mais ce renforcement des inégalités, devant lequel nos organisations syndicales semblent presque déclarer forfait, mine aussi leur influence globale.

C’est ce que propose à la réflexion un de nos camarades, pour la prochaine Assemblée Générale : « Si nous peinons autant à représenter et à défendre les salariés sécurisés, n’est ce pas parce que nous ne défendons et ne représentons pas les travailleurs non sécurisés ? »

Dominique BONADEI