La brutalité de la réalité !

, par Dominique Bonadei

J’affirme sans complexe que certains, beaucoup, ont eu tort alors que nous avons eu raison. Ce n’est pas contestable, mais j’ajoute hélas, ce n’est pas non plus contestable, que nous ne sommes ni plus intelligents, ni plus talentueux, ni à priori plus lucides que toute une ribambelle d’économistes, d’experts, d’éditorialistes et de commentateurs. Simplement, nous sommes intellectuellement hors du système politique.

Et si nous devons toujours revenir aux sources et aux documents qui font foi, rappelons la motion déposée au Congrès Confédéral d’Amiens en 1906 par un anarcho-syndicaliste de renom, Victor Griffuelhes, et qui obtînt 830 voix contre 8 et une abstention pour devenir « la Charte d’Amiens », à laquelle adhèrent encore aujourd’hui des communistes, des socialistes, des écologistes, des républicains, des démocrates, des centristes, des nouveaux centristes, des UMP et des gaullistes de la première heure dont l’attachement aux valeurs républicaines implique un refus de toute dérive monarchique vers un pouvoir personnel, de toute atteinte à l’indépendance et au pluralisme comme au principe de laïcité.

Nous avons substitué une démarche libre, dégagée autant que possible de toute pesanteur intellectuellement aliénante, à une approche binaire plombée par deux catastrophes idéologiques ; le libéralisme et son système économique de marché face au collectivisme et son système économique dirigé.

Nous n’avions aucun mérite à prévoir. Il suffisait d’observer, d’analyser sans tabous, sans se laisser griser par quelque encens idéologique que ce soit. Nous nous contentions de décrire des évidences sans prétendre faire preuve, en cela, d’une lucidité exceptionnelle.

C’est pourquoi nous avons eu raison alors que, « nos décideurs », se sont trompés sur toute la ligne. Des personnalités respectables, à la tête pleine, ont approuvé les initiatives prises par le pouvoir politique alors que ce ne furent qu’une succession de contresens, de non-sens, de bévues contre-cycliques qui revisitées à la lumière de la grande crise, se révèlent absolument consternantes.

Nous ne les excommunions pas pour autant, nous ne leur refusons nullement le droit d’être et de persévérer dans leur être, nous ne leur interdisons aucun espace ni ne les excluons d’aucun terrain, nous les écoutons, nous les entendons, nous les lisons avec attention, nous ne désespérons jamais d’extraire quelque perle de la semoule dans laquelle ils pédalent, de nous délecter d’une seule idée juste sortie éventuellement de leur bouche, nous ne leur refusons aucune main, nous admettons tout à fait que, demain, l’Esprit saint descendant sur eux (puisqu’il parait que c’est déjà arrivé), ils se mettent à faire preuve d’une stupéfiante lucidité. Or, ce sont eux qui nous rejettent, nous excluent, et nous ostracisent !

Il en va ainsi du fameux « paquet fiscal » qui ampute annuellement l’Etat de quelque 14 milliards € de recettes quand, confronté aux ravages de la crise, il eut le plus grand mal à mobiliser 6 milliards en faveur du premier plan de relance. Nous eûmes raison de prétendre que, pour l’essentiel, ce furent les plus aisés qui en profitèrent. Or, ceux là, consommant à satiété, n’avaient pas nécessairement besoin de rab pour consommer plus. Nous le fîmes remarquer à plusieurs reprises, mais il fallait satisfaire les grands héritiers que les droits de succession et les deux dernières tranches d’impôts sur le revenu faisaient grimper aux rideaux.

Ensuite, ce fut l’exonération des heures supplémentaires de charges sociales, c’est-à-dire le renchérissement de la création d’emplois par rapport à l’allongement de la durée des emplois déjà créés. Un chômeur de moins coûtant dès lors plus cher qu’un salarié travaillant plus longtemps. Le résultat fut ce que l’on craignait ; au départ plus d’heures supplémentaires et plus de chômeurs. Puis, à l’arrivée, plus de chômeurs, et malgré tout, moins d’heures sup.

Quant à la baisse des prix ; on vit le vote d’une série de lois consistant à démanteler les différentes digues et grilles censées protéger le commerce de proximité et la petite entreprise de l’impérialisme de la grande distribution. Il s’agissait de laisser la boutique et la PME face aux hypermarchés et aux centrales d’achat, mains armées du pouvoir financier, exactement comme des poules libres face à des tigres libres. Et de leur lancer aux uns et aux autres : « Faîtes librement vos prix ! »

A ce degré, l’hypocrisie est quasiment obscène : évidemment, les pots de fer font leurs prix au détriment des pots de terre puisque les seconds dépendent d’un marché totalement contrôlé par les premiers. « Vous me prenez à la gorge ! » clame le pot de terre dont on exige d’acheter les marchandises quasiment à leur prix de revient. « Je représente 60% du marché dans le département, lui répond le pot de fer. Vous êtes partout, ou vous êtes exclu de partout. Choisissez ! »

Quant au petit commerce de proximité, il n’a pas les moyens de se faire livrer depuis la Chine, et en gros, il faut vraiment être « libéral » et financé par Cora pour favoriser la généralisation du système. Ainsi, au beau milieu d’un tsunami destructeur d’emplois, on fragilise considérablement les secteurs susceptibles d’en créer. Nous avons dénoncé cette inadéquation majeure sans résultat. Nos nombreuses mises en garde sont tombées dans le vide que l’idéologie dominante a fait devant elle.

La gauche, elle, n’a pas pris une seule initiative susceptible de bloquer la mainmise de la finance sur le commerce quand la droite s’abstenait de favoriser l’accès des petites entreprises aux espaces concurrentiels verrouillés par les multinationales et ne guerroya que pour la galerie. Et la presse eut tendance à approuver, au nom de la modernité, ce piège à cons, cette fatale erreur d’aiguillage. Le reconnaîtra-ton ? Peu probable ! Trop d’argent derrière…

En prime, on afficha des mesures destinées à restreindre toutes les formes d’immigrations familiales et humanitaires, on refusa de régulariser les sans-papiers qui occupaient un emploi, parfois de longue date, mais on facilita « l’immigration clandestine » en fermant les yeux sur l’emploi clandestin de toujours plus de main d’œuvre étrangère sous payée et non protégée pour les propulser dans les secteurs économiques où les difficultés de recrutement eussent exigé, au contraire, que l’on revalorisât les salaires et qu’on améliorât les conditions de travail. Et ce, alors que des travailleurs immigrés, intégrés et formés, étaient au chômage et souffraient de toutes les discriminations.

Enfin, on eut droit en catastrophe à l’opération « sauvetage des banques » dont la plupart, d’ailleurs, ne demandaient rien, ou pas encore. Des centaines de milliards étalés devant nos yeux, à nous dont on ne cessait d’expliquer, quelques jours auparavant, et lorsque nous revendiquions, que « L’Etat était en faillite », qu’il n’y avait « plus d’argent dans les caisses » et qu’un sou était sou. Or, en échange de cette manne miraculeuse, l’Etat n’exigea même pas des banques recapitalisées qu’on lui accordât un siège dans leur conseil d’administration.

Le pouvoir politique, trop occupé à s’approprier les télévisions et radios publiques appartenant officiellement aux citoyens, ne s’octroyât aucun moyen de contrôler l’usage que les banques feraient des faveurs qu’il leur avait ainsi consenties. Elles fermèrent donc impunément le robinet des crédits.

En un sens, nous avons fait preuve de patriotisme en tentant, chaque fois, de faire retentir nos petites sirènes d’alerte quand ces errements à répétition, et ô combien coûteux, étaient favorisés par tant de silences ou d’approbations complices. Faut-il aujourd’hui nous faire honte, ou admettre en conscience que ce n’était pas déraisonnable ?

Ainsi nous avons mis en garde contre les effets politiquement désastreux de la sous-estimation de la délinquance comme, en d’autres temps, nous avions mis en garde contre l’angélisme qui conduisait à « fasciser » toute velléité de lui opposer une parade.

Mais ce qui importe, c’est que jamais nos gouvernants n’ont pris la peine de répondre aux questions que nous leur posions (cela s’appelle sans doute le dialogue social). Voilà des gens, on l’a dit et redit, qui sont en pleine débandade intellectuelle, dont la gravité des bévues ne le dispute qu’à l’énormité des ratages, dont rien de ce qu’ils ont défendu ou adoré ou affirmé ne tient plus la route, dont les idées sont restées collées au plafond tandis que leurs fondamentaux s’écrasaient sur le plancher et dont le bilan est globalement en dépôt.

A quoi peuvent-ils bien servir, si ce n’est à porter de l’eau au moulin de ceux qui vivent impunément de privilèges et de prébendes ? Nous les entendons tous trop bien et nous souffrons de les voir porter des espérances qui ne sont point les attentes tant économiques que sociales d’un peuple las d’être roulé par des coteries qui vivent grassement sur son dos.

A trop faire attendre, on dépasse les limites de la patience… Nous courrons tous au devant d’une réalité brutale qui finira par imposer ses conséquences désastreuses, et dont la responsabilité incombera à cette même coterie intéressée et irresponsable.

Dominique Bonadei

Secrétaire Général